Bilan 2022

Pour que la lecture, qui va être longue, soit un peu plus digeste j’ai inséré des images provenant d’une de mes découvertes préférées d’Instagram en 2022 : Gentlyspokenfriend, histoire de détendre l’atmosphère. Tirées tant de son Insta que de son site. Franchement, n’est-ce pas archi cute ?…

Café/thé et tartine de ce que vous voulez, zébardiii !

 

 

Je n’aime pas le mois de décembre, on sent l’année qui a filé toujours aussi vite, on aimerait se reposer et profiter de moments calmes sans pouvoir réellement y arriver, et surtout on ne peut s’empêcher de regarder les mois écoulés et de faire leur bilan. Pas que l’exercice soit mauvais en soi, mais pour ma part il y a toujours ce trop plein d’émotions qui vient entacher cette rétrospective : les regrets de ne pas avoir fait tout ce que j’aurai du faire, contempler certains trous béants persistants, cet étau cruel du temps qui passe, mes croyances solides sur mes incapacités, mes inaptitudes, cette auto-flagellation poisseuse.
« Quoi que j’accomplis ça ne rattrape jamais ce que je n’ai pas réussi à faire ». Il m’est extrêmement difficile de me débarrasser de cette idée, car comme le dit mon psy « pourquoi rattraper ou compenser ? » Mais cette année est une année d’efforts, alors j’en fais encore un en écrivant ce bilan.

Tout d’abord j’ai pris ma santé mentale à bras le corps et c’est quelque chose dont je suis assez fière. C’est à la fois épuisant et énigmatique de se sentir se transformer de mois en mois. Très effrayant également de se rendre compte de tout le travail qui doit être fait. Même si je savais qu’une thérapie, lorsqu’elle est bien conduite, est toujours bénéfique ce n’est qu’en ayant les pieds bien dedans que j’ai réellement compris à quel point c’est non pas essentiel mais vital. C’est vraiment à ce moment là que j’ai compris à quel point nous sommes incroyablement complexes (même si je le savais déjà mais il y a une différence, et non des moindres, entre savoir et vivre dans sa chair) et que plus on épluche, plus il y a de la matière, plus il y a de questionnements, plus il y a de réalisations, plus il y a d’angoisses, plus il y a de révélations, plus il y a ce vertige de commencer à se comprendre réellement, sur un plan que l’on ne peut absolument pas imaginer ni saisir sans une thérapie, ce vertige de trouver en soi quelqu’un que l’on ne connaissait pas, quelqu’un qui ne ressemble pas à celui/celle qui parle constamment dans la tête, quelqu’un qu’on comprend être ce « moi » enraciné dans les tréfonds.
C’est aussi à ce moment là que j’ai compris à quel point on se ment. A quel point on pense qu’on peut y arriver seul.e, à coup de spiritualité, à coup de belles histoires que l’on se raconte pour se réinventer, sauf que l’on n’endosse qu’une énième peau-bouclier. J’ai énormément repensé à mon ancienne spiritualité (avec beaucoup de tendresse), qui mise en relation avec la psychothérapie, a pris un sens très concret : le besoin de cycles, le besoin de s’accrocher à des choses non-substentielles et seulement « sensitives », l’exploration analogique avec les symboles : tout cela était une quête de sens. Ma vie n’avait aucun sens, mon existence même n’avait aucun sens, le monde dans lequel je vis n’a aucun sens, je devais en trouver quelque part, je devais mettre en ordre quelque chose autour de moi. Et c’était parfaitement sincère, seulement c’était tout ce que j’avais. Je ne suis pas entrain de brûler l’église entendons-nous bien, je fonctionne toujours totalement par symboles, je les adore et ils me racontent des histoires sur l’humanité, mais je ne leur demande plus de faire quelque chose à ma place. Je ne les rends pas responsables de qui je suis ou de qui je vais devenir. J’en ai gardé deux/trois, parce qu’ils sont chers à mon cœur et que je peux les utiliser sans les enrober de tout un mysticisme qui ne m’appartient même pas. J’ai délaissé tout le reste, et oh boy quelle légèreté.

Je reste profondément fascinée par les croyances des autres, par les mystiques et les religions, mais je ne m’hypnotise plus avec. J’ai toujours autant de questions existentielles mais je ne cherche plus les réponses. J’aime savoir que mon cerveau peut encore imaginer de telles questions, qui alimentent ensuite, parfois, mes écrits et mes photos.

 

Un des plus gros chocs de cette année a été la découverte du TDAH (je précise tout de suite encore une fois que le mien n’est pas confirmé) j’avais déjà vu plusieurs fois ce terme avec son pendant anglais ADHD mais je n’avais jamais regardé ce que cela voulait dire. Si je l’avais découvert dans ma vingtaine il y a très fort à parier que je n’en serai pas là (mais on en parlait encore moins). Mieux vaut tard que jamais comme on dit. C’est au détour de Youtube, avec le titre, « avoiding toxic productivity advice for adhd » que j’ai eu une réalisation de type « … pourquoi ce gars raconte mon état mental de A à Z depuis toujours ?! ». De recherches en recherches et de vidéo en vidéo je commence enfin à comprendre beaucoup de choses et l’étendue gigantesque du foirage complet du forcing pour essayer de rentrer dans le moule des neurotypiques. Je me dis : « bon, vu que je n’ai pas de diagnostique et que ça risque de prendre des plombes, on va simplement mettre en œuvre les conseils que des gens qui ont un tdah donnent et voir si ça fonctionne ou pas, de toute manière j’ai rien à perdre ». La suite, on s’en doute, tout devient d’une clarté limite insupportable. Je me rends compte que j’ai littéralement toute une réorganisation de mon cerveau à faire, de mes schémas, de tout ce qu’on m’a appris qui n’a jamais fonctionné et de tout ce que j’ai essayé de faire sur des années et des années et pour lesquelles de toute évidence j’aurai pu essayer encore 30 ans ça n’aurait toujours pas marché. Une fois le moment de panique et de découragement passé s’en est suivi des états presque d’euphorie en voyant tous les potentiels jamais explorés se dérouler devant mes yeux. Pour le moment je continue de mettre en place tout ceci mais ça prend forcément beaucoup de temps, les habitudes et surtout les mauvaises sont toujours très tenaces. Ceci dit je n’ai jamais avancé autant en à peine 2 mois qu’en plusieurs années de bourrage de crâne de « comment faire pour trouver sa routine parfaite de boulot, de vie, de sport etc » (j’ai focus là sur les routines mais ça englobe tout dans la vie). Cela me donne tout simplement un espoir factuel de m’en sortir que je n’attendais plus et surtout cela prend un sens tellement, mais tellement logique. C’est un peu comme si on prenait le monde et, comme pour les boules à neige, on le retourne, sauf qu’on ne le remet pas à « l’endroit », parce qu’il n’a plus aucun sens.

J’ai gagné de nouveaux prismes en compréhension de tout ce qui m’entoure mais aussi, sans surprise, des désillusions, du découragement, du savoir qui mène à la tristesse et à l’amertume. Vu que l’on habite pas la Terre des Bisounours, les neuroatypiques dont je fais parti (sans parler de tdah, ma neuroatypie a été confirmée pour d’autres raisons) évoluent dans un monde qui n’est pas designé pour eux et où l’adaptation nous est forcée, obligatoire parce que personne ne fera l’effort de faire l’inverse. Et comme notre société est extrêmement lente à piger que l’individuel et le collectif sont étroitement liés, les poules auront des dents d’ici à ce que notre confort social soit amélioré. Quand on s’aventure dans l’obscure marais des réseaux sociaux on trouve souvent des gens venir pleurer sous des posts qui ne les concernent de toute évidence pas qu’ils en ont marre de voir les autres s’affirmer en tant que neuroatypiques ou autres et que « décidément c’est devenu une mode » (comme tout ce qui sort d’une norme, globalement), moi ce qui me surprend au plus haut point c’est que ce genre de personne n’a pas la présence d’esprit de se dire qu’on peut difficilement ne pas développer de symptômes dans une société pareille. Comment les gens arrivent encore à croire qu’on peut vivre une vie normale, bienheureuse du début à la fin, sans devenir complètement taré. C’est un mystère. C’est plutôt dévoiler sa méconnaissance totale du sujet, en premier lieu du cerveau, secondo de l’état des lieux catastrophique des dépistages et de la prise en charge dans notre pays des personnes atypiques (que ce soit physique ou mental d’ailleurs), et ne parlons même pas quand tout se passe une fois adulte.

Et les réseaux sociaux, parlons-en, plus j’avance dans ma thérapie et moins je peux aller dessus. Je n’ai plus de TV depuis des années mais je retrouve les mêmes mécanismes hypnotiques. Je continue de penser que nous sommes aussi responsables de ce qu’il s’y passe tout en sachant qu’un autre côté de la pièce est dirigé par ce qu’on ne peut pas contrôler en tant que consommateur où notre marge de manoeuvre est très limitée : plus facile d’aller gueuler dans son Carrefour pour quelque chose qu’on trouve d’inadmissible que de tenter un dialogue avec Twitter ou Insta. Je suis partie d’ailleurs de Twitter cette année où même en ayant épuré à fond mes abonnements, paramétré tout ce qui était paramétrable, blacklisté certains mots etc rien n’y faisait je me retrouvais à lire des dizaines de dramas dont je n’avais strictement rien à foutre (de sujets qui au départ m’intéressaient) où les gens auraient pu tuer père et mère et défenestrer le chat pour la simple satisfaction de dire « HA ! j’avais raison !! ». Merci, non merci. Et puis si on en est à devoir passer des plombes à trifouiller les paramètres d’une appli pour pas être emmerdé c’est qu’il y a déjà un sacré problème : autant ne pas y être, c’est designé pour nous faire faire de la merde et l’ingérer. On ne s’en rend pas compte mais lire constamment des gens se foutre sur la gueule pour un oui ou non mine énormément le moral. C’est si lent qu’on est comme des grenouilles à se faire ébouillanter à petit feu. J’avais peur de rater des choses, ça a d’ailleurs un nom le FOMO, jusqu’à ce que je me dise « bon merde ça fait trop, tant pis si je rate des trucs de toute manière mon cerveau ne peut clairement pas ingurgiter autant de choses que je le voudrais ». Je ne cache pas que j’ai eu quelques mauvais moments d’angoisse mais au bout d’un certain temps on oublie même qu’on allait dessus ! Et on se sent simplement mieux, on se demande même comment on a pu tenir aussi longtemps, comment les autres peuvent tenir aussi longtemps.
Une autre résolution que j’ai vraiment bien tenue c’est de n’absolument plus engager de conversation aka plutôt débat ou dialogue de sourds, en commentaire et ce qu’importe la plateforme. Tout simplement parce qu’on s’y arrache là aussi les cheveux. D’une c’est très chiant d’écrire de long pavés sur des réseaux qui  ne sont pas conçus pour et de deux le temps mais le temps que l’on perd à vouloir « éduquer » d’autres personnes ! Si on voulait faire notre mère la morale à chaque fichu commentaire qui ne nous plait pas ou qui ne vont pas dans notre sens on y passerait notre vie, on y passerait notre santé. Il faut accepter qu’il y aura toujours des gens très obtus, très obstinés, qu’il y aura toujours des gens pas d’accords et c’est ok en fait, ce n’est pas dramatique, ce n’est pas la mort. Mes opinions je les garde pour moi-même ou bien je décide de les échanger quand je suis sûre que la conversation est possible et dure plus de 5mn. Je les écris aussi ici quand elles me sont importantes, quand je pense qu’elles peuvent toucher, parce que c’est mon jardin et que j’y dépose autant d’épines que de fleurs. Sinon je passerai mon temps à quasiment copier/coller les mêmes messages à tout bout de champs, comme un robot, alimentant de fait moi aussi des espaces déjà archi anxiogènes où la soit disant liberté de parole ne va bien souvent que dans un sens. 2022 m’aura laissée sur le carreau avec comme une impression de suffoquer tant j’y ai vu des horreurs écrites, toujours plus violentes les unes que les autres, des inepties, des nouvelles vérités incritiquables, des illogismes toujours plus gigantesques, des femmes encore et toujours menacées de tout ce qui est possiblement menaçable. C’en est trop.

On pourrait culpabiliser de ne pas participer à quelque chose de plus grand que soi, de « si je ne fais pas ma part aussi alors je dessers tel combat / je ne suis pas vraiment militante » mais justement parlons-en de cette prétendue pureté militante, quel que soit le milieu : une épée de plus au dessus de la tête. Qu’est-ce que cela veut dire ? Rien du tout. Une tartine d’égo doublé de médiocrité, où les comportements de collégiens s’en donnent à coeur joie entre copinage que l’on ne cache même plus et affichage en règle par post interposé. Indigne d’adultes essayant prétendument de faire avancer quelque chose dans la société. Cet écœurement ressenti au fil des mois a fini d’achever mon envie d’aller contre et a au contraire ravivé mon envie d’aller vers/pour. De créer plutôt que de détruire, d’inventer, de proposer, de montrer qu’il est encore tout à fait possible de faire sortir d’au plus profond de nous des choses qui aident, qui font avancer, qui franchissent.

La lenteur étant un peu mon crédo je n’ai pas encore réussi à mettre sur pied ce que je souhaite, par rapport à tout cela. Mais je sais que quelque chose va en jaillir. A ce propos je me suis surprise tout au long de l’année à complètement changer mon rapport à mon médium de base, la photo. Je suis très peu de photographe, j’ai renoué avec un plaisir immense avec le dessin et la peinture. Suivre ces artistes me permet de dévier mon regard, de l’élargir, de l’alimenter d’autres façons d’exprimer le réel et l’imaginaire. Les livres ont pris également de plus en plus d’importance, ce qui n’a rien de bien étonnant.

Enfin, et plus que tout, 2022 est probablement l’année où je me suis la plus écoutée. Dans les bons comme dans les mauvais moments. J’ai amorcé un début de quelque chose qui me transforme profondément. La personne que j’étais en 2021 n’existe plus et celle d’avant encore moins. C’est une mue quelque peu miraculeuse pour moi, petite fille écartelée et enracinée dans un bourbier. Mais comme les plantes et fleurs qui vivent dans les tourbières, je suis entrain de croitre, très lentement, à mon rythme. Avec la conscience de porter cette dualité de grande fragilité et de grande force.

Je reviens toujours vers cette locution latine, vue un jour dans un sanctuaire à la Dame, qui me suit éternellement (même sur ma peau, très probablement un jour) et que je vous crie à vous également, qui franchissez avec courage les obstacles de votre vie, avec obstination : SURSUM CORDA !



 

 


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