La vaisselle.

Un jour je faisais la vaisselle, et puis… j’ai parlé –

J’ai longtemps hésité.
Toute ma vie, en fait, j’ai hésité.
Pour ce prologue aussi.
Est-ce que je devais écrire mon histoire, est-ce que je devais la rendre publique. Vous savez, cette histoire, elle est gravement banale, elle arrive tous les jours. Notre société s’est construite dessus. J’ai même hésité à utiliser le mot, celui qui résume tout. Si je le fais, le stigmate va tomber, si je ne le fais pas je contribue moi aussi au silence mortel autour de ce mot.

Alors, je vais dire ces 7 lettres.
Il faudrait même les crier.
Chacune, bien distinctement, les hurler si fort dans l’air que le ciel en resterait gravé.

I n c e s t e.

Probablement le tabou le plus fort de notre société, de la bulle familiale. Un mot que je n’ai réussi à prononcer qu’à mes 38 ans. Avant, je n’utilisais que des périphrases, les très rares fois où j’en ai parlé parce que je n’avais pas compris que c’était ce qui m’était arrivée. Je n’avais jamais fais le lien entre mon vécu et ce mot. Cela peut paraitre bizarre pour quelqu’un d’extérieur, je le conçois. Moi, en commençant une seconde thérapie, ce que je n’avais pas compris c’est le labyrinthe que je représente pour moi-même, le travail titanesque que j’allais devoir fournir et surtout, surtout, l’étendue des dégâts.

Avant de rentrer dans le vif du sujet qui sera le prochain article, j’aimerai recontextualiser :  des études sur l’inceste il y en a. Plein. Sur des décennies. Il n’y a plus rien que l’on ne sache pas à ce sujet.

Aujourd’hui on s’accorde globalement pour dire qu’1 enfant sur 10 en est victime. Dans une salle de classe cela représente 2 à 3 enfants.
Environ 10% de la population française.
On s’accorde aussi souvent pour dire que les chiffres sont très en dessous de la réalité, surtout pour les petits garçons.  Oui, il y a une culture de l’inceste comme il y a une culture du viol. Ce n’est pas nouveau mais c’est probablement la forme de domination la plus silenciée. Tout d’abord par ceux qui la vivent, ceux qui sont au courant, et la société. Oui, il existe une amnésie collective, elle est voulue, structurée et alimentée.

Dans votre scolarité, dans votre famille étendue, dans votre vie tout simplement, vous avez croisé et côtoyé des personnes qui ont subit l’inceste sans que vous le sachiez, c’est un fait certain.

Alors, voilà, je suis devenue en écrivant ces mots, “la meuf qui a subit l’inceste” (on dit également incestuée et ce mot de mort est très approprié); que vous suivez peut-être depuis longtemps, pour laquelle vous vous étiez fait une opinion et que vous ne suivrez peut-être plus. Nous sommes les victimes mais c’est nous que l’on stigmatise. Tout à coup on effraie, on représente quelque chose de salissant, de trop horrible, on ne veut plus rien avoir à faire avec nous. Oui ça arrive, il y a des gens qui réagissent ainsi, la plupart d’ailleurs, les yeux regardent ailleurs sur les côtés, les pieds, au loin. L’autre devient silencieusement gêné, fuyant, on trouve des prétextes, on bafouille, on minimise aussi ce qui nous est arrivé.

Le silence est le meilleur ami de l’inceste.

Tant mieux si cela dérange, il le faut, c’est une nécessité. Jusqu’à ce que cette chappe sociale, familiale, explose. Jusqu’à ce que l’inceste soit interdit et légiféré, jusqu’à ce que le réflexe quand on ose enfin en parler ne soit plus : “tais toi, ne parle plus jamais de ça, tu es folle, ça ne doit pas sortir de la famille, jamais il/elle ne ferait une chose pareille, tu me fais honte, tu trahis ta famille” etc.

Jusqu’à ce que ce ne soit plus romantisé, dans les livres, à l’écran.

L’amour n’existe pas dans l’inceste, ce n’est qu’un acte de domination, de manipulation, de pouvoir, l’acte ultime de violence patriarcale. On objectifie un enfant, on annihile son être. Comme le dit si bien Jean Luc Viaux : “c’est aussi un meurtre psychique par destruction des repères”.

Ce que je veux vous raconter, c’est mon cheminement. Comment j’ai pu sortir du silence, tout ce qui en a découlé et comment maintenant grâce à la thérapie notamment j’arrive à aller, à mon rythme, de l’avant. L’écrire est devenu en quelques jours, soudainement, une nécessité.

 

La parole est notre or.
C’est l’or de tous ceux qui ont été abusés.
C’est le seul moyen que nous avons, avec les arts, de graver le ciel.

 

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Le podcast “Ou peut-être une nuit” a commencé à changer ma vie. Je vous encourage, très fortement, à l’écouter. L’épisode 5, particulièrement, donne des informations cruciales sur la façon dont notre société est structurée sur la violence envers les enfants. C’est édifiant, hallucinant, monstrueux. Et vous verrez, que petit à petit, vous allez comprendre ce qu’instinctivement vous captiez comme “pas normal”, tout autour de vous, sans même parler directement de l’inceste. Vous comprendrez, avec une strate de plus, avec des informations précises en plus, à quel point le patriarcat ronge tout, comme la lèpre.

Tous les articles seront sous mot de passe. Si vous pensez qu’ils pourraient intéresser quelqu’un, que vous soupçonnez être victime, que vous savez victime, ou tout simplement intéressé.e par conscience citoyenne et humaine, n’hésitez pas à le partager. Cependant, je me donne également le droit d’en supprimer l’accès .

 


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