Bilan 2022

Pour que la lecture, qui va être longue, soit un peu plus digeste j’ai inséré des images provenant d’une de mes découvertes préférées d’Instagram en 2022 : Gentlyspokenfriend, histoire de détendre l’atmosphère. Tirées tant de son Insta que de son site. Franchement, n’est-ce pas archi cute ?…

Café/thé et tartine de ce que vous voulez, zébardiii !

 

 

Je n’aime pas le mois de décembre, on sent l’année qui a filé toujours aussi vite, on aimerait se reposer et profiter de moments calmes sans pouvoir réellement y arriver, et surtout on ne peut s’empêcher de regarder les mois écoulés et de faire leur bilan. Pas que l’exercice soit mauvais en soi, mais pour ma part il y a toujours ce trop plein d’émotions qui vient entacher cette rétrospective : les regrets de ne pas avoir fait tout ce que j’aurai du faire, contempler certains trous béants persistants, cet étau cruel du temps qui passe, mes croyances solides sur mes incapacités, mes inaptitudes, cette auto-flagellation poisseuse.
“Quoi que j’accomplis ça ne rattrape jamais ce que je n’ai pas réussi à faire”. Il m’est extrêmement difficile de me débarrasser de cette idée, car comme le dit mon psy “pourquoi rattraper ou compenser ?” Mais cette année est une année d’efforts, alors j’en fais encore un en écrivant ce bilan.

Tout d’abord j’ai pris ma santé mentale à bras le corps et c’est quelque chose dont je suis assez fière. C’est à la fois épuisant et énigmatique de se sentir se transformer de mois en mois. Très effrayant également de se rendre compte de tout le travail qui doit être fait. Même si je savais qu’une thérapie, lorsqu’elle est bien conduite, est toujours bénéfique ce n’est qu’en ayant les pieds bien dedans que j’ai réellement compris à quel point c’est non pas essentiel mais vital. C’est vraiment à ce moment là que j’ai compris à quel point nous sommes incroyablement complexes (même si je le savais déjà mais il y a une différence, et non des moindres, entre savoir et vivre dans sa chair) et que plus on épluche, plus il y a de la matière, plus il y a de questionnements, plus il y a de réalisations, plus il y a d’angoisses, plus il y a de révélations, plus il y a ce vertige de commencer à se comprendre réellement, sur un plan que l’on ne peut absolument pas imaginer ni saisir sans une thérapie, ce vertige de trouver en soi quelqu’un que l’on ne connaissait pas, quelqu’un qui ne ressemble pas à celui/celle qui parle constamment dans la tête, quelqu’un qu’on comprend être ce “moi” enraciné dans les tréfonds.
C’est aussi à ce moment là que j’ai compris à quel point on se ment. A quel point on pense qu’on peut y arriver seul.e, à coup de spiritualité, à coup de belles histoires que l’on se raconte pour se réinventer, sauf que l’on n’endosse qu’une énième peau-bouclier. J’ai énormément repensé à mon ancienne spiritualité (avec beaucoup de tendresse), qui mise en relation avec la psychothérapie, a pris un sens très concret : le besoin de cycles, le besoin de s’accrocher à des choses non-substentielles et seulement “sensitives”, l’exploration analogique avec les symboles : tout cela était une quête de sens. Ma vie n’avait aucun sens, mon existence même n’avait aucun sens, le monde dans lequel je vis n’a aucun sens, je devais en trouver quelque part, je devais mettre en ordre quelque chose autour de moi. Et c’était parfaitement sincère, seulement c’était tout ce que j’avais. Je ne suis pas entrain de brûler l’église entendons-nous bien, je fonctionne toujours totalement par symboles, je les adore et ils me racontent des histoires sur l’humanité, mais je ne leur demande plus de faire quelque chose à ma place. Je ne les rends pas responsables de qui je suis ou de qui je vais devenir. J’en ai gardé deux/trois, parce qu’ils sont chers à mon cœur et que je peux les utiliser sans les enrober de tout un mysticisme qui ne m’appartient même pas. J’ai délaissé tout le reste, et oh boy quelle légèreté.

Je reste profondément fascinée par les croyances des autres, par les mystiques et les religions, mais je ne m’hypnotise plus avec. J’ai toujours autant de questions existentielles mais je ne cherche plus les réponses. J’aime savoir que mon cerveau peut encore imaginer de telles questions, qui alimentent ensuite, parfois, mes écrits et mes photos.

 

Un des plus gros chocs de cette année a été la découverte du TDAH (je précise tout de suite encore une fois que le mien n’est pas confirmé) j’avais déjà vu plusieurs fois ce terme avec son pendant anglais ADHD mais je n’avais jamais regardé ce que cela voulait dire. Si je l’avais découvert dans ma vingtaine il y a très fort à parier que je n’en serai pas là (mais on en parlait encore moins). Mieux vaut tard que jamais comme on dit. C’est au détour de Youtube, avec le titre, “avoiding toxic productivity advice for adhd” que j’ai eu une réalisation de type “… pourquoi ce gars raconte mon état mental de A à Z depuis toujours ?!”. De recherches en recherches et de vidéo en vidéo je commence enfin à comprendre beaucoup de choses et l’étendue gigantesque du foirage complet du forcing pour essayer de rentrer dans le moule des neurotypiques. Je me dis : “bon, vu que je n’ai pas de diagnostique et que ça risque de prendre des plombes, on va simplement mettre en œuvre les conseils que des gens qui ont un tdah donnent et voir si ça fonctionne ou pas, de toute manière j’ai rien à perdre”. La suite, on s’en doute, tout devient d’une clarté limite insupportable. Je me rends compte que j’ai littéralement toute une réorganisation de mon cerveau à faire, de mes schémas, de tout ce qu’on m’a appris qui n’a jamais fonctionné et de tout ce que j’ai essayé de faire sur des années et des années et pour lesquelles de toute évidence j’aurai pu essayer encore 30 ans ça n’aurait toujours pas marché. Une fois le moment de panique et de découragement passé s’en est suivi des états presque d’euphorie en voyant tous les potentiels jamais explorés se dérouler devant mes yeux. Pour le moment je continue de mettre en place tout ceci mais ça prend forcément beaucoup de temps, les habitudes et surtout les mauvaises sont toujours très tenaces. Ceci dit je n’ai jamais avancé autant en à peine 2 mois qu’en plusieurs années de bourrage de crâne de “comment faire pour trouver sa routine parfaite de boulot, de vie, de sport etc” (j’ai focus là sur les routines mais ça englobe tout dans la vie). Cela me donne tout simplement un espoir factuel de m’en sortir que je n’attendais plus et surtout cela prend un sens tellement, mais tellement logique. C’est un peu comme si on prenait le monde et, comme pour les boules à neige, on le retourne, sauf qu’on ne le remet pas à “l’endroit”, parce qu’il n’a plus aucun sens.

J’ai gagné de nouveaux prismes en compréhension de tout ce qui m’entoure mais aussi, sans surprise, des désillusions, du découragement, du savoir qui mène à la tristesse et à l’amertume. Vu que l’on habite pas la Terre des Bisounours, les neuroatypiques dont je fais parti (sans parler de tdah, ma neuroatypie a été confirmée pour d’autres raisons) évoluent dans un monde qui n’est pas designé pour eux et où l’adaptation nous est forcée, obligatoire parce que personne ne fera l’effort de faire l’inverse. Et comme notre société est extrêmement lente à piger que l’individuel et le collectif sont étroitement liés, les poules auront des dents d’ici à ce que notre confort social soit amélioré. Quand on s’aventure dans l’obscure marais des réseaux sociaux on trouve souvent des gens venir pleurer sous des posts qui ne les concernent de toute évidence pas qu’ils en ont marre de voir les autres s’affirmer en tant que neuroatypiques ou autres et que “décidément c’est devenu une mode” (comme tout ce qui sort d’une norme, globalement), moi ce qui me surprend au plus haut point c’est que ce genre de personne n’a pas la présence d’esprit de se dire qu’on peut difficilement ne pas développer de symptômes dans une société pareille. Comment les gens arrivent encore à croire qu’on peut vivre une vie normale, bienheureuse du début à la fin, sans devenir complètement taré. C’est un mystère. C’est plutôt dévoiler sa méconnaissance totale du sujet, en premier lieu du cerveau, secondo de l’état des lieux catastrophique des dépistages et de la prise en charge dans notre pays des personnes atypiques (que ce soit physique ou mental d’ailleurs), et ne parlons même pas quand tout se passe une fois adulte.

Et les réseaux sociaux, parlons-en, plus j’avance dans ma thérapie et moins je peux aller dessus. Je n’ai plus de TV depuis des années mais je retrouve les mêmes mécanismes hypnotiques. Je continue de penser que nous sommes aussi responsables de ce qu’il s’y passe tout en sachant qu’un autre côté de la pièce est dirigé par ce qu’on ne peut pas contrôler en tant que consommateur où notre marge de manoeuvre est très limitée : plus facile d’aller gueuler dans son Carrefour pour quelque chose qu’on trouve d’inadmissible que de tenter un dialogue avec Twitter ou Insta. Je suis partie d’ailleurs de Twitter cette année où même en ayant épuré à fond mes abonnements, paramétré tout ce qui était paramétrable, blacklisté certains mots etc rien n’y faisait je me retrouvais à lire des dizaines de dramas dont je n’avais strictement rien à foutre (de sujets qui au départ m’intéressaient) où les gens auraient pu tuer père et mère et défenestrer le chat pour la simple satisfaction de dire “HA ! j’avais raison !!”. Merci, non merci. Et puis si on en est à devoir passer des plombes à trifouiller les paramètres d’une appli pour pas être emmerdé c’est qu’il y a déjà un sacré problème : autant ne pas y être, c’est designé pour nous faire faire de la merde et l’ingérer. On ne s’en rend pas compte mais lire constamment des gens se foutre sur la gueule pour un oui ou non mine énormément le moral. C’est si lent qu’on est comme des grenouilles à se faire ébouillanter à petit feu. J’avais peur de rater des choses, ça a d’ailleurs un nom le FOMO, jusqu’à ce que je me dise “bon merde ça fait trop, tant pis si je rate des trucs de toute manière mon cerveau ne peut clairement pas ingurgiter autant de choses que je le voudrais”. Je ne cache pas que j’ai eu quelques mauvais moments d’angoisse mais au bout d’un certain temps on oublie même qu’on allait dessus ! Et on se sent simplement mieux, on se demande même comment on a pu tenir aussi longtemps, comment les autres peuvent tenir aussi longtemps.
Une autre résolution que j’ai vraiment bien tenue c’est de n’absolument plus engager de conversation aka plutôt débat ou dialogue de sourds, en commentaire et ce qu’importe la plateforme. Tout simplement parce qu’on s’y arrache là aussi les cheveux. D’une c’est très chiant d’écrire de long pavés sur des réseaux qui  ne sont pas conçus pour et de deux le temps mais le temps que l’on perd à vouloir “éduquer” d’autres personnes ! Si on voulait faire notre mère la morale à chaque fichu commentaire qui ne nous plait pas ou qui ne vont pas dans notre sens on y passerait notre vie, on y passerait notre santé. Il faut accepter qu’il y aura toujours des gens très obtus, très obstinés, qu’il y aura toujours des gens pas d’accords et c’est ok en fait, ce n’est pas dramatique, ce n’est pas la mort. Mes opinions je les garde pour moi-même ou bien je décide de les échanger quand je suis sûre que la conversation est possible et dure plus de 5mn. Je les écris aussi ici quand elles me sont importantes, quand je pense qu’elles peuvent toucher, parce que c’est mon jardin et que j’y dépose autant d’épines que de fleurs. Sinon je passerai mon temps à quasiment copier/coller les mêmes messages à tout bout de champs, comme un robot, alimentant de fait moi aussi des espaces déjà archi anxiogènes où la soit disant liberté de parole ne va bien souvent que dans un sens. 2022 m’aura laissée sur le carreau avec comme une impression de suffoquer tant j’y ai vu des horreurs écrites, toujours plus violentes les unes que les autres, des inepties, des nouvelles vérités incritiquables, des illogismes toujours plus gigantesques, des femmes encore et toujours menacées de tout ce qui est possiblement menaçable. C’en est trop.

On pourrait culpabiliser de ne pas participer à quelque chose de plus grand que soi, de “si je ne fais pas ma part aussi alors je dessers tel combat / je ne suis pas vraiment militante” mais justement parlons-en de cette prétendue pureté militante, quel que soit le milieu : une épée de plus au dessus de la tête. Qu’est-ce que cela veut dire ? Rien du tout. Une tartine d’égo doublé de médiocrité, où les comportements de collégiens s’en donnent à coeur joie entre copinage que l’on ne cache même plus et affichage en règle par post interposé. Indigne d’adultes essayant prétendument de faire avancer quelque chose dans la société. Cet écœurement ressenti au fil des mois a fini d’achever mon envie d’aller contre et a au contraire ravivé mon envie d’aller vers/pour. De créer plutôt que de détruire, d’inventer, de proposer, de montrer qu’il est encore tout à fait possible de faire sortir d’au plus profond de nous des choses qui aident, qui font avancer, qui franchissent.

La lenteur étant un peu mon crédo je n’ai pas encore réussi à mettre sur pied ce que je souhaite, par rapport à tout cela. Mais je sais que quelque chose va en jaillir. A ce propos je me suis surprise tout au long de l’année à complètement changer mon rapport à mon médium de base, la photo. Je suis très peu de photographe, j’ai renoué avec un plaisir immense avec le dessin et la peinture. Suivre ces artistes me permet de dévier mon regard, de l’élargir, de l’alimenter d’autres façons d’exprimer le réel et l’imaginaire. Les livres ont pris également de plus en plus d’importance, ce qui n’a rien de bien étonnant.

Enfin, et plus que tout, 2022 est probablement l’année où je me suis la plus écoutée. Dans les bons comme dans les mauvais moments. J’ai amorcé un début de quelque chose qui me transforme profondément. La personne que j’étais en 2021 n’existe plus et celle d’avant encore moins. C’est une mue quelque peu miraculeuse pour moi, petite fille écartelée et enracinée dans un bourbier. Mais comme les plantes et fleurs qui vivent dans les tourbières, je suis entrain de croitre, très lentement, à mon rythme. Avec la conscience de porter cette dualité de grande fragilité et de grande force.

Je reviens toujours vers cette locution latine, vue un jour dans un sanctuaire à la Dame, qui me suit éternellement (même sur ma peau, très probablement un jour) et que je vous crie à vous également, qui franchissez avec courage les obstacles de votre vie, avec obstination : SURSUM CORDA !



 

 

Late bloomers, introversion & thérapie.


Cela fait plusieurs années maintenant que je suis tombée sur le terme de “late bloomers”. On peut le traduire de plusieurs façons :  personnes à floraison tardive, qui prennent leur temps ou plutôt qui ont besoin de temps, les amoureux de la lenteur, même pourquoi pas les angoissés du choix. Je fais partie de ces gens qui n’ont jamais su quoi faire dans la vie / de leur vie et la société dans laquelle nous évoluons n’aide aucunement lorsque la question du choix crucial de “quoi faire” de sa vie intervient, sous entendu quoi faire de rentable. A l’école je ne pensais jamais à mon futur moi grande, au collège tout cela me paraissait encore loin même si quelques idées commençaient à émerger : écrivaine, ethnologue, restauratrice d’art (que des trucs simples quoi). J’avais déjà un goût prononcé pour une certaine catégorie de métiers mais je me souviens comme si c’était hier de cette prof de français, qui était aussi notre prof principale, entrain de m’humilier devant ma mère en me disant que si je n’étais pas capable de citer ne serait-ce que Lévi-Strauss il ne fallait pas rêver pour des études d’ethnologie. C’est précisément à ce moment là que j’ai arrêté de me poser la question, puisque personne ne semblait penser que j’arriverais à quoi que ce soit, autant en rester là et faire un job merdique (nous sommes dans les années 90′ où il était de rigueur de sortir à chaque discussion sur la scolarité : “il n’y a pas de débouchés (pour tous les métiers hors administration, cadre etc (donc clairement tout ce que je visais) / il faut faire des études, les diplômes sont importants”). Au lycée je n’étais pas plus avancée, j’ai vivoté à la fac dans un brouillard continu sur ma vie ; littérature, anglais, rien ne m’intéressait parce que je ne pouvais pas me projeter.

A 23 ans, dans un appartement miteux à Paris dans le quartier des prostituées, tard dans la nuit je tombe sur un documentaire relatant la vie de moniales (je savoure encore aujourd’hui toute l’ironie de cette situation, surtout que je suis née rue des religieuses). L’idée me traverse, devenir bonne sœur ne peut pas être pire que d’errer continuellement. Cette idée je l’avais déjà en moi depuis longtemps en réalité, ce n’est que des années plus tard que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une volonté d’acte de foi (puisque je ne l’avais pas, disons pas de façon classique) mais la conséquence de choses vécues enfant. Parfois maintenant encore je me surprends à vouloir tout plaquer et partir dans un monastère, mais je regarde cette pensée avec tendresse, elle n’est que le vœu d’une petite fille qui a peur du monde.

Alors, de McDo en vendeuse polyvalente, on passe son temps à détester son emploi, les gens, et particulièrement ceux qui savent depuis longtemps ce qu’ils veulent faire. Leur route toute tracée était une insulte, un rappel constant que moi j’étais incapable de choisir ni d’avoir une “vocation”. Ce qui me rendait heureuse c’était de lire, d’apprendre, d’observer le monde, rien en somme qui ne rapportait de l’argent et c’était bien là le problème. J’avais dû être une scolastique dans une autre vie c’était sûr pensais-je parfois en me moquant de moi-même, sans hésitation si cela était possible j’aurai voulu n’être qu’une apprenante, une étudiante, compiler jour et nuit des savoirs, découvrir incessamment tout ce que le monde dans lequel je vis me réserve, partager ces découvertes avec d’autres, se questionner sans cesse, écrire, oui voilà assurément ce que j’aurais voulu faire toute ma vie. Et Mazel tov les forums ont ensuite fait leur apparition, pour le meilleur et pour le pire.

Je dois faire ici un aparté sur mon environnement familial qui a grandement, voire essentiellement, joué sur mes non-choix et mes errances. J’ai grandi dans une famille très modeste, personne n’a jamais fait d’études, un père qui ne jurait que par la dureté de la vie et une mère coincée dans des rôles qu’elle ne voulait pas tenir, une demie-sœur de 11 ans mon aînée, la question de l’argent qui revenait sans cesse, et moi-même qui faisait office de cygne noir = trop différente. Des violences verbales et physiques ont jalonné mon quotidien, dans ma tête – et plus tard spatialement – je m’enfuyais vers des rivages qui recélaient des trésors merveilleux : l’imaginaire littéraire, la spiritualité, la nature vivante tout autour de moi. Si j’avais grandi en banlieue la mort, la drogue, la prostitution, l’alcool m’auraient très probablement cueillie plus tôt (par cette affirmation je n’acte pas que c’est ce que l’on retrouve systématiquement comme parcours, mais que c’en est un qui m’aurait été bien plus accessible, et connaissant mon terrain addictif je peux donc en attester). On comprendra très bien que je ne fais qu’effleurer mon vécu dans cet article.

Alors à 38 ans maintenant (39 à l’heure où je finis cet article), qu’est-ce qui a changé ? Des années de bullshit jobs auront eu le mérite de tant m’en dégouter que j’ai préféré choisir une formation qui certes ne m’a toujours pas dirigée vers un métier que je suis sûre de vouloir faire mais qui me permet au moins d’avoir une autre perspective. Une perspective et pour le moment cela restera en l’état : je dois faire le deuil de la vocation jamais venue, du désir sûr de savoir quoi faire, d’une carrière aimée. Bien sûr on peut me rétorquer qu’il n’est jamais trop tard, que les changements de parcours existent, qu’il ne faut pas désespérer, bref tout le blabla habituel qui n’aide pas. Ce qu’il me reste c’est simplement le devoir impérieux d’avancer toujours plus parce que je ne peux ni reculer ni rester sur place. Le devoir impérieux et angoissant de devoir faire quelque chose. Je suis une femme, de bientôt 40 ans, maman solo, avec divers troubles, je ne pars clairement pas avantagée dans l’histoire ; et même si je rechigne à en parler, être une femme dans cette situation est dangereux. Non seulement pour mon quotidien, je ne peux décemment pas être précaire encore pendant des années, et parce que tout me rappelle constamment que l’heure tourne, que je suis égoïste et irrévérencieuse de penser à moi en premier, que je devrais me tuer à la tâche, endosser l’ultime sacrifice parental tant porté aux nues (et qui fait des dégâts considérables), suer sang et eau dans un taff où je me ferais littéralement exploitée tant en tant que personne physique et intellectuelle qu’en terme de revenu cela va sans dire.

Est-ce vraiment ça le luxe de nos jours ? Ne pas vouloir être une esclave d’une société que l’on ne comprend pas du tout et dans laquelle on souffre de vivre ? 

Je relisais ce matin l’article de La lune Mauve sur entre autre la solitude et l’introversion. Deux caractéristiques inscrites en moi depuis toujours (difficile de dire si cela est dû aux évènements traumatiques ou à ma personnalité “de base”), deux aspects que l’on m’a beaucoup reproché et que ce faisant j’ai défendu bec et ongle (donc merci aux abruti.e.s). Des valeurs que j’ai vu au fil de ma vingtaine être de plus en plus marketées et franchement, quelle douce rigolade : les gens de la com qui sautent sur un sujet aussi vieux que le monde et pensent avoir inventé l’eau chaude en vendant en coffret un plaid, une tasse et un carnet pourri de 15 pages affublé d’un titre en danois. L’insulte serait drôle si cela ne cachait pas en fait une profonde détresse pour ceux qui vivent quotidiennement dans leur chair cette préférence incarnée : celle du silence et de la lenteur, dans le monde tel qu’on le vit actuellement qu’est-ce qui représente le mieux une résistance que ça, à toutes les époques même devrais-je dire. J’ai fini par remercier cette introversion car c’est grâce à elle que j’ai trouvé le courage un matin en me levant de me dire que c’était le moment ou jamais de démarrer une thérapie. Ce sont ces silences cherchés et cherchés encore, en moi, autour de moi, qui m’ont permis un dialogue intérieur honnête et de moins en moins tyrannique. Mais cette solitude que je pouvais faire jaillir de moi je la subis de plein fouet depuis mon déménagement. A la campagne j’étais entourée de peu de monde et je ne cherchais la compagnie de personne, ici en ville je suis entourée de milliers de gens et je me sens très seule. Le fait de voir des gens sociabiliser, de grès ou de force, dans la rue, les cafés et restaurants etc me ramènent à chaque fois que je sors à mon incapacité de me lier avec mes congénères. C’est un fait, je ne sais pas créer du lien hors ligne avec de parfaits inconnu.e.s ; les gens me font peur, m’écœurent et comme on est plus à un paradoxe près, ils m’attirent, me questionnent. Mais je commence à faire la paix avec tout cela, parfois un sourire rendu dans le tram me suffit à savoir que je n’ai pas disparu, que je ne suis pas un fantôme. Cela me suffit de savoir qu’il me faut du temps et que des amitiés indéfectibles arrivent parfois au crépuscule. 
Je vais parler plus longuement de ma thérapie dans des articles protégés (soit par code, soit par lien uniquement donné par mail), j’ai beaucoup réfléchi à les laisser public ou non, la concordance avec mon discours de ne pas voir assez d’articles traitant de santé mentale (j’entends d’article personnel et non informatif), l’hypocrisie que cela pourrait susciter et que je peux concevoir sans peine, mais nous sommes ici sur le net et j’ai bien trop conscience de la méchanceté des gens pour leur laisser le plaisir de trouver des informations me concernant qui pourraient alimenter leur délire et leur stupidité, j’ai mes priorités et elles ne sont clairement pas tournées vers eux.

Voici la mise à jour que je peux faire à cet instant T, de mon chemin chaotique et finalement bien commun. Je désentortille le récit de ma vie quasiment chaque jour, depuis février je suis revenue au prologue, maintenant je dois relier les paragraphes entre eux et les relire à nouveau avec une autre perspective. C’est l’aventure intérieure la plus riche que j’ai jamais eu. Flippante à bien des égards, mais absolument nécessaire. J’y reviendrai bien plus en détails au fil du temps, en espérant que vous continuerez de voyager avec moi. 

Je fleuris tardivement, j’ai le temps.

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1. Crédit inconnu
2. Thomas Wijck, The Alchemist 1677

ποίησις

ποίησις : grec ancien signifiant poiesis.

 

Cette année (et l’année dernière) c’est la Mort qui a écrit sa poésie. Elle n’est pas arrivée avec sa charrette grinçante comme l’Ankou, elle n’a pas fait entendre la sarabande de sa Danse Macabre, non elle s’est laissée glisser dans nos têtes, silencieusement, sans se faire remarquer. Et n’est-ce pas là un coup de maitre que d’agir alors que l’hôte ne s’en rend pas compte.
J’ai vu petit à petit autour de moi depuis un an l’absence de poésie faire son œuvre. Je parle bien de poésie quotidienne et non pas de poésie littéraire, que je placerais presque après la première. Si je suis très attachée à la poésie écrite on peut dire que je le suis obsessionnellement de celle de chaque jour, d’ailleurs dans presque toutes mes publications Instagram le hashtag “poésiedubanal” est utilisé.

Dans le monde des sens il y a ceux qui sont éveillés à quelque chose et ceux qui ne le sont pas, je trouve pour ma part que ce n’est pas tout à fait juste. S’il n’y avait que la sensibilité intrinsèque à chaque personne on ne poserait pas la question, on dirait que c’est simplement comme ça il y a ceux qui voient des choses où d’autres n’en voient pas ; pourtant tout le monde sans exception voit/ressent à un moment donné ou un autre, j’en ai eu bien assez la preuve dans ma vie auprès de personnes qui n’auraient pour rien au monde ouvert un recueil de poésie mais qui ce sont exclamés qu’ils trouvaient soudainement quelque chose de “poétique”. Mais au fond la poésie c’est quoi ? On s’accorde à dire généralement que c’est avant tout un langage voire un système, le Larousse nous dit que c’est l’art de l’évocation, Wikipedia que c’est un genre littéraire très ancien. Sarraute dira que “le propre de la poésie s’attache à rendre une sensation“, Trenet que “c’est des rêves de bonne qualité c’est l’art de rêver et de faire rêver aussi” ou bien Cocteau que “c’est le mariage du conscient et de l’inconscient  et de ces noces terribles et bizarres naissent des monstres“. Bref, on en sait rien, ou plutôt il y a autant de forme de poésie qu’il y a de poètes. Finalement, n’est-ce pas d’en faire l’expérience qui est le plus important ? On peut sûrement s’accorder sur le fait que la poésie “fait quelque chose”, que ce soit une production écrite, musicale, réelle ou virtuelle, si le sujet s’exclame comme c’est poétique ! c’est tout simplement qu’il aura été touché et peut-être qu’en rester là suffit.

Pourtant s’il suffisait de simplement regarder, cet effacement progressif ne serait pas arrivé. La poésie est reliée à notre état d’esprit et il suffit que l’on passe une journée atroce pour que le coucher de soleil au dessus du pont que l’on avait l’habitude de contempler en rentrant à pieds de son boulot n’existe plus ou pire soit tout d’un coup un objet de mépris. Moi la première, parfois, je me suis questionnée, ” c’est pas un peu naïf finalement tes histoires de reflets ? il y a franchement plus urgent / t’as pas quelque chose d’autre à faire de plus productif ? arrête avec tes trucs de poésie de toute manière ça n’intéresse personne, oui bon ce sont des nuages pas de quoi en faire un plat tout le monde s’en fout bosse tes cours plutôt” j’ai une liste longue comme le bras de réflexions personnelles similaires, et s’il y a bien une chose qui me débecte dans “cette odieuse société” c’est cet écrasement de la beauté, cette négation du besoin de poésie individuel, ce lavage de cerveau dont on ne veut pas, auquel on résiste de toute ses forces mais qu’on finit quand même par entendre dans sa tête “il y a mieux à faire que de s’extasier sur l’éphémère”. Et je crois que cette cassure entre ce que je suis et ce que je suis sensée être m’a fait entrer dans cette petite bataille de la beauté. Souvent j’ai l’impression que c’est fichu d’avance, que ça n’a pas d’importance pour les autres, un passage aussi bref qu’un “elle est jolie cette fleur” vite oublié dès que l’on passe le pas de sa porte. Mais quand même, il y a ce truc, qui me fait tiquer à chaque fois, surtout lorsque je me plonge à nouveau dans les arts asiatiques : ça compte. Si ça compte autant pour eux, ça peut compter aussi pour nous. Ces reflets de soleil tremblant sur le mur ou les rideaux de mon appartement lorsque le vent s’invite je ne suis pas la seule à les voir je le sais, oui il y a d’autres personnes que ça émeut et qui se demandent aussi probablement pourquoi, oui il y a d’autres personnes qui s’arrêtent devant des nuages aux formes particulières, pour un pissenlit qui pousse vaille que vaille entre deux pavés, pour la beauté étrange d’une personne qui pleure dans la rue, pour un monde inversé dans les flaques d’eau. Récemment sur Twitter j’en ai eu encore une fois la preuve avec le hashtag #saccageparis (que je vous recommande de suivre surtout si vous habitez la ville) qui bien que posant des réalités très complexes révèle surtout que les gens en ont marre de sortir de chez eux et de voir une déchetterie à ciel ouvert, qui plus est dans une des plus belles villes du monde, parait-il.

Voilà la force de la beauté : elle nous rappelle que nous pouvons habiter le monde.

Quand la beauté nous sauve. / C. Pépin

Ca compte, ça compte bordel, ça compte plus que de déclarer tout les 3 mois sa thune à la caf, je trépigne pas d’impatience de descendre ouvrir ma boite aux lettres par contre j’étais sur mon balcon tout les jours à regarder le parc en bas de mon immeuble et la colline en face pour savoir si les végétaux commençaient à se parer de teintes vertes, si les fleurs et les bourgeons sortaient petit à petit. Ca compte, parce que c’est vivant. Parce que ça nous relie directement à nous-même, nous qui sommes organiques, solaires et lunaires. Nous qui avons 5 sens pour appréhender tout du monde qui nous entoure, êtres sensoriels, faits pour explorer, expérimenter, goûter, toucher, imaginer, s’émerveiller… Alors je dois dire que se rendre compte les mois défilants que je commence à perdre cet émerveillement c’est probablement encore plus douloureux que tout ce qu’il se passe. Et je crois que, de manière un peu enfantine, j’en veux à tout et tout le monde, j’en veux aux autres de s’être faits avoir aussi, j’en veux à ceux qui s’en foutent royalement, j’en veux à cette “société de merde”, je m’en veux aussi d’être tombée dans le piège de l’apathie, de l’angoisse du lendemain qui ne sera pas plus glorieux que ceux des 14 derniers mois, de mes yeux qui se ferment ou qui ne savent plus vraiment regarder parce que plus l’énergie et puis à quoi bon de toute façon…
Notre quotidien n’a pas vraiment la réputation d’être poétique. La capacité de s’émerveiller c’est que pendant les fêtes, pendant les feux d’artifice, c’est quasiment montré qu’à travers le regard des enfants, et nous dans tout ça ? T’es adulte, faut baisser la tête, taffer et rebelotte, pas le temps de niaiser. Ou alors il faut que ce soit loin du quotidien, dans un ailleurs bien exotique, pendant des vacances – courtes – que t’aura réussi à dégager, c’est pas chez toi c’est donc forcément plus beau, ce n’est pas le quotidien que tu subis c’est donc digne d’intérêt.
Pourtant nous l’inventons tous les jours, il a cette capacité d’enchantement permanent, de pouvoir être reconsidéré plusieurs fois, d’être modulable, il est pour à tout le monde et en même temps propre à chacun. On nous le présente comme quelque chose qui nous écrase, dont on aimerait s’échapper constamment. Diabolisé à outrance, mais aussi déresponsabilisé. Ce truc là, le quotidien, ce machin informe qui emmerde tout le monde, mais que personne n’a curieusement envie de prendre à bras le corps et retravailler pour qu’il corresponde à ce dont on a envie et non l’inverse. On se réveille un matin et on se dit merde, je n’ai plus goût à rien, je veux garder mes yeux fermés, je ne veux plus écouter personne, je veux simplement bouffer des chips et qu’on m’oublie.

C’est cette vie à laquelle Nietzsche, justement, donne la parole dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Vois-tu, dit la Vie, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même. » La vie est alors cette énergie s’auto-alimentant, ce fleuve se nourrissant de son propre mouvement, ce flux changeant sans cesse de forme et d’intensité. Nous avons besoin de nos émotions esthétiques pour que la vie en nous puisse continuer à se métamorphoser, changeant de forme en effet, s’intensifiant à cet instant précis où la beauté nous touche. Sans cette beauté, cette vie risquerait de rester en attente au fond de nous, suspendue à des occasions de jaillir ou de se métamorphoser qui peut-être ne viendront jamais, nous laissant inachevés ou incomplets, malheureux ou coupables.Quand la beauté nous sauve / C. Pépin

Alors, avec la pandémie qui nous a gentiment fait redescendre sur Terre en nous rappelant que ce qui était acquis de sûr ne l’était en fait pas du tout, les interdictions de sorties mais surtout de projections, de soi, avec les autres, je crois qu’en plus de tout un tas de choses qui venaient grignoter ma vie l’effacement lent mais tenace de cet émerveillement du quotidien m’est bien resté en travers de la gorge. Parce que ça aussi je pensais que ce serait toujours ancré en moi, sans hésitation, sans doute, que ce n’était certainement pas ça qui allait foutre le camp. Ce fut une fois de plus l’occasion de confronter ces certitudes avec la réalité quand celle-ci prend un tournant quasi futuriste et que le quotidien se transforme en quelque chose qui est là deux fois plus imposé. C’est grâce à la pandémie que j’ai compris de façon un peu plus rude certes mais ô combien efficace que la beauté n’est pas acquise dans les yeux de celui qui la regarde si on est mentalement pas prêt à l’accueillir, qu’il y a bien plus de paramètres en jeu qu’une simple question d’esthétique et de la définition qu’on lui donne, que c’est toute une question d’équilibre entre soi et le dehors. Et c’est cette réalisation qui m’a fait prendre conscience, encore plus que d’habitude, que la poésie du quotidien est salutaire, exigeante et in-dis-pen-sable ; que mon état d’esprit y était intrinsèquement lié. Pour moi, la poésie du quotidien est une partie de l’équation de santé mentale que l’on oublie très souvent. Hors nous baignons littéralement dedans tout les jours de notre vie, comment peut-on s’en détacher, le détacher si rapidement du problème ? Il n’est pas question d’aller faire un footing pour se vider la tête, il est question au contraire de remplir, en nous / autour de nous, un espace avec de la beauté pour que notre condition nous semble un peu plus douce, un peu plus supportable. Il est question d’y faire face courageusement et de retrouver la capacité d’émerveillement « banale » en regardant à nouveau autour de nous, en relevant la tête, en apprenant à faire attention à nouveaux aux détails, à questionner son environnement, à questionner son esthétique personnelle. C’est mon militantisme à moi. Il y a un autre facteur que l’on met rarement en relation avec la poésie quotidienne, c’est l’acte de créer. On en parle comme si c’était avant tout une observation passive, ce n’est pas faux, mais c’est très réducteur. Inventer de la poésie, de la beauté, peu importe par quel médium, c’est permettre de redécouvrir d’abord pour soi des méthodes que l’on avait oublié ou pas osé utiliser, et c’est surtout l’occasion de les transmettre et les offrir au monde. Voilà pourquoi la poésie du banal est si riche et tout aussi digne. Elle est accessible, immédiate et ne demande rien d’autre que de sortir de nous-même pendant un petit moment pour produire quelque chose de gratuit et qui grâce aux réseaux peut toucher bien plus de personnes. Ce n’est pas un concours c’est au contraire une forme spontanée, libre.

Fréquentez la beauté le plus possible, multipliez les expériences esthétiques, les occasions d’éprouver la morsure délicieuse de ce pur élan vers les autres, vers tous les autres, vers l’universel : l’émotion esthétique, c’est l’arme de résistance massive au relativisme.

Quand la beauté nous sauve / C. Pépin

 

Pour compléter :
– Le pouvoir des pommiers en fleurs
– Quand la beauté nous sauve
– La création poétique doit-elle s’inspirer du quotidien

L’hybride

Disclaimer : je n’ai pas pu rentrer dans le détails pour la majorité des exemples que j’ai cité (sinon on en aurait eu pour un article d’1h à lire), j’ai conscience que cela peut induire en erreur ou semer le doute sur certains de mes propos. Avant de me sauter à la gorge si jamais l’envie vous prend je peux totalement développer une phrase, une idée, en commentaire ou en mp. J’ai commencé à écrire l’article il y a un mois, je l’ai recommencé au moins 4 fois. Il m’est vraiment difficile de parler de ce sujet car il en imbrique des tas d’autres mais en plus j’ai tendance à beaucoup me censurer. Peut-être que l’approche sous l’ange du doute n’était pas la bonne mais pourtant c’est un sujet qui m’est cher et dont, je trouve, on ne parle pas assez. 

 

J’oscille constamment entre tout et son contraire : j’envie les gens plein de certitudes et en même temps je ne comprends pas qu’on ne puisse pas remettre en question. Je suis pétrie de doutes, voilà. J’ai cette angoisse permanente d’avoir peur de me tromper, d’avoir peur de ne pas avoir saisi correctement les choses, de passer à côté d’un truc fondamental.
J’ai cet esprit vorace qui sait qu’il ne pourra jamais tout savoir et qui sait de fait qu’il a des jugements biaisés. Parfois je suis prise dans ce vertige, quand l’énormité de ce que je ne sais pas me frappe, quand ce trou noir de tout ce que je ne saurais jamais s’ouvre devant moi.

Mais plus insidieusement c’est le doute de la vie, le doute de moi-même, qui fait son oeuvre lentement. Que faire alors quand ce voile se pose très tôt et rend les contours flous, laissant peu de place à une construction de soi un minimum “équilibrée”. Cela touche tout les aspects de ma vie, plus le temps avance, plus j’ai l’impression qu’il s’infiltre par la moindre interstice et je réalise petit à petit à quel point il est un de mes plus grands professeurs. Le déménagement que j’ai fais cette année faisait office de salut, il fallait que je parte c’était ma santé mentale ou rien. Une fois arrivée ici les deux premiers mois ont été une guerre sans merci, j’étais parcourue d’angoisses atroces que je n’avais plus ressenti depuis mes attaques de paniques adolescente ; le doute m’avait tout pris, avait brisé cette nouvelle expérience, m’avait rendue nerveuse, fragile, désenchantée.

Roberto Ferri

Je doute. De tout ce qui m’entoure, de tout ce que j’entends, de tout ce qui fait sens pour les autres et pas pour moi. Je fais mon examen de conscience souvent pour me retrouver coincée dans les mêmes questionnements : est-ce que définitivement je deviens une conne réac qui n’arrive plus à se remettre en question, à accepter d’autres paradigmes.
Partout, il manque de la nuance. Si tu n’es pas féministe tu es une traître à ton propre sexe, si tu n’es pas vegan tu n’as aucune conscience environnementale, si tu es pour un monde cybernétique tu craches sur les petits enfants qui travaillent, si tu n’es pas touché par tout les mouvements politiques progressistes tu es lâche. Il faut être soit l’un soit l’autre mais tu ne peux pas être entre les deux, soit sainte, soit pute mais pas d’hybride. Il faut faire un choix. Hors je suis constamment entre deux. J’introduis des doses de richesses, d’où qu’elles viennent, je les injecte dans toutes mes réflexions pour avoir une base la plus colorée possible, la plus nuancée possible. 
Mais faire un choix, pourquoi ? Se priver de savoir, de sagesse, d’expérience, simplement pour faire comme tout le monde ? Pour être bien vue ? Pour rentrer dans le rang “parce qu’il le faut ?”  Pour la bonne conscience des autres ? des amis, de la famille, de la société plus ou moins proche ?
Il ne faudrait pas trop mettre mal à l’aise, on ne doit pas déranger, ni un camp ni un autre.
Le “oui, mais” n’existe pas.
La nuance non plus.

On se retrouve ballotté au milieu de ce tourbillon de bonne conscience, de politiquement correct (quoi que je ne sais plus à force si c’est encore possible), d’injonctions pitoyables créées par ceux-là même qui militent pour qu’il n’y en ai plus selon leur point de vue dans un domaine précis (à quel niveau de wtf on en est en fait).
Aujourd’hui si tu n’es pas pour toutes les luttes alors tu es forcément contre elles. Si tu ne coches pas toutes les cases de la bien-pensance tu es à minima rayé de la liste des amis propres sur eux qui disent amen à tout mais qui n’ont d’opinion sur rien (bah oui faut juste se contenter de dire ohlala c’est vraiment pas bien ça, faudrait pas leur demander de réfléchir non plus). Que nous restera t-il à apprendre ? Comment grandirons-nous ? A quel niveau pourrons-nous confronter nos idées, nos désaccords pour s’enrichir mutuellement ?

Et c’est profondément déstabilisant pour qui ne ressent pas le besoin d’appartenir à quelque chose, qui n’en est pas touché, qui même et surtout ne la comprend pas, la trouve stérile, à côté de la plaque. On pourrait bien dire qu’il suffirait de s’en foutre, que ça ne nous empêchera pas de dormir, mais quand on fait un travail profond de développement personnel j’ai l’impression qu’on échappe pas à ce doute du “est-ce que je pense comme il faut / pourquoi je ne pense pas comme les autres alors que tout le monde a l’air de dire que c’est bien / est-ce que c’est moi qui ai un problème cognitif ou de manque d’empathie etc”. Et ce fameux je trace ma route sans penser aux autres est aussi nuisible au final, on se détache, on se retranche et on passe à côté de tout les échanges bénéfiques qui pourraient nous élever, et plus que tout on finit par se taire. Parce qu’il n’y a jamais personne qui a le courage de dire “oui, mais”, alors on tourne en rond dans sa tête, on en revient au doute, c’est un vrai cercle vicieux ; et quand bien même cette personne le ferait on lui reprocherait de ne pas prendre parti et serait exclue des deux, alors qu’elle essaie simplement de comprendre ce qu’il y a de bien dans l’un et dans l’autre sans tomber dans du manichéisme pur et dur. Il faut avoir une opinion tranchée sur tout, si tu n’en as pas soit on suppose que tu es débile et que tu n’as rien compris, soit que tu t’en fou et que tu n’as conscience de rien (ha ! la fameuse “prise de conscience” agitée devant le nez quand il n’y a pas d’autre argument à soumettre). Mais avoir une opinion, ça prend du temps, en fait. Il faut y penser, y réfléchir, prendre le temps de s’informer, et Dieu sait si ça devient suivant les thématiques difficile de trouver de l’information aussi neutre que possible ; et cette opinion elle peut changer aussi suivant notre propre évolution personnelle. 

Je me suis longtemps demandée si je m’étais habituée au doute, si je l’avais cultivé par fierté mal placée, s’il s’était emparé de moi à tel point que je ne pouvais plus vivre une seule expérience sans la remettre en question. Au final, peu importe la raison, seuls les dégâts sont là. Les dégâts de toute une génération, de toute une transmission, de toute une société. Mais aussi les dégâts que l’on se fait soi-même, car oui on peut reporter la faute sur tant de gens, tant d’éléments, nous n’en sommes pas moins responsables de nous-même, de notre façon de penser qui est modulable à loisir mais aussi et surtout responsables de notre prise d’action ou non action envers tout cela. Comme il est facile de sortir à tout va la carte des traumas, de la transmission familiale, de la camisole dans laquelle on s’enferme sans l’aide de personne.
J’ai pris l’exemple des luttes mais vous avez bien compris que cela s’applique à tout, à des mouvements sociaux d’ampleur comme à des questionnements beaucoup plus personnels, exemple la spiritualité. Et là, parlons-en, le doute n’est-il pas un compagnon permanent ? N’a t-il pas été le vôtre ? Tout d’abord culturellement parlant, bien que le domaine soit largement en expansion on nous apprend en tout et pour tout que la science prévaut et que tout le reste n’est que fantaisie de bonne femme, superstitions dépassées que l’on peut largement expliquer de nos jours grâce à notre société super moderne et que franchement t’es un peu neuneu si tu crois à ce genre de choses. Il ne s’agirait tout de même pas de remettre en question, une fois de plus, des traditions politiques et religieuses , c’est trop compliqué et les femmes, toujours à faire chier de toute manière pour des sujets qui ne rapportent pas. Est-ce qu’il n’y a pas au moins une fois où vous vous êtes dis “s’il faut je crois voir des signes où y’en a pas, c’est peut-être explicable par l’effet machin démontré par le professeur truc, c’est seulement dans ma tête / est-ce que la relation que je crois avoir avec telle déité ou égrégore existe t-elle réellement ou est-ce une transposition de mes peurs comme le manque de reconnaissance, la solitude, le besoin de me raccrocher à quelque chose / est-ce que ce que je crois voir et entendre sont en fait des phénomènes physiques dû au stress, à un taux de tel paramètre trop élevé, à mon cerveau qui part en sucette / etc etc” la liste est longue. Sincèrement je vous envie si vous n’avez jamais remis en question vos propres croyances et pratiques mais en même temps je dois avouer que je trouverai ça chelou voir irresponsable. J’ai un problème avec la dévotion, et la peur de la perte du contrôle, parce qu ‘en premier lieu je dois faire confiance en quelque chose que je ne peux pas toujours vérifier, ce qui implique que je peux perdre une masse conséquente de temps à croire ce qui est finalement faux et ça je crois que ça me terrifie en quelque sorte plus que tout, me tromper. 

Cependant, le doute ça va bien deux minutes. Je suis comme tout le monde je n’aime pas particulièrement souffrir et ayant déjà une très grosse propension à vivre loin dans ma tête il fallait poser des limites d’une manière ou d’une autre ; le doute comme garde fou oui, mais seulement pour ça et non plus comme une angoisse perpétuelle paralysant la moindre prise d’action, la moindre réflexion. J’ai mon bagage spirituel, tant d’expériences que de très longs échanges  et j’ai toujours laissé toutes les portes ouvertes ce qui a par chance facilité le développement de ma boussole intérieure, de mon étoile du nord : l’intuition. L’aide la plus précieuse que l’on puisse avoir, tant que l’on ne verse pas ensuite dans le penchant très sécure du “je capte tout, je crois tout ce que je ressens, vois, entends etc”. Malaise. L’intuition comme tout outil, à manier avec sagesse en gardant en tête la règle d’or de l’équilibre. En résumé, des plombes de pratique, des tonnes de loupés et un guide que l’on imagine même pas qui nous permet de creuser dans tant de domaines différents, qui a l’avantage indiscutable de développer la confiance en soi, sans oublier l’aide précieuse que l’on peut offrir aux autres tant qu’eux-même ne l’ont pas développé.  

Je n’ai fais qu’effleurer mes propos, je n’ai fait qu’effleurer beaucoup – trop – de thématiques et d’expériences personnelles. Et je crois que si l’on me connait peu cet article donnerait une image très incomplète de moi. Mais je prends le risque et je le prends aussi dans le fait de n’avoir pas réussi à m’exprimer entièrement, d’avoir hésité, d’avoir fait de nombreux retours en arrière, d’avoir effacé puis re écris. Ecrire n’est plus aussi aisé qu’avant, là aussi il y a eu du doute.

Le seul que je n’ai pas c’est qu’il faut partager encore et encore ce qui va à contre courant, ce qui est toujours en mouvement, ce qui dérange, ce qui s’épanouit dans la nuit…

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img1 : Roberto Ferri
img2 : Solene Ballesta

Luire

Quelque part près d’un étang, à côté des rivières et des montagnes, j’ai une maison.
Parfois elle est petite, quand le jour s’étend autour de moi et que la lumière est trop forte, parfois elle est grande, lorsque la nuit m’enveloppe et qu’en dedans tout est calme pour quelques heures.

Cette maison ne fait pas parti du monde, elle ne sait pas où s’y construire. Elle ne sait pas quel matériaux utiliser, dans quelle direction sa porte doit être placée, à quelle route se rattacher. Alors elle reste dans cette zone d’eau, à la dérive, ballottée, noyée de temps en temps.
Puis elle se fracasse. Contre des rochers nommés folie, dépression, angoisse, lucidité. Contre des murs que les autres construisent et qui n’ont aucun sens, ils se ressemblent tous et renvoient des échos de personnes qui parlent pour les autres, qui dirigent les autres, qui pensent pour les autres, qui enferment les autres dans des labyrinthes dès qu’ils ont l’âge de marcher. Quand elle ouvre timidement ses fenêtres elle ne comprend pas ce qu’il se passe dehors ; des gens vivent par procuration la vie d’autres, il y a ceux qui pensent que leur idiotie passera inaperçue tant la poudre d’artifice qu’ils soufflent aux yeux est forte, il y a ceux qui se taisent – suivent – rampent et ont oublié que la noblesse du coeur vaut plus que d’être viré. Il y a des cyclopes qui marchent entre tous, si grands, si forts, mais qui seraient aisément défaits par le nombre. Et puis il y a ceux qui errent dans un brouillard constant, tiraillés entre le désir de mieux faire et les chaines qui les retiennent encore si séduisantes. Au loin, il y a ceux au regard halluciné, saisis par des mirages. Ils ont eu trop peur, ils se sont laissés convaincre, ils n’appartiennent plus à eux-même.

Je referme les fenêtres. Je ne veux pas appartenir à ce monde. Quelque fois sur mon toit se posent des oiseaux de passage nommés amour, amitié, aventure, choix. Je les accueille avec joie et bienveillance, sachant qu’ils repartiront. Quelques uns passeront un ou deux hivers, beaucoup arracheront des tuiles en s’en allant. Ce n’est pas grave car tout se reconstruit.

Je sais qu’ailleurs il y a des maisons comme la mienne qui ne savent pas où se construire. Nous croyons être invisibles les unes des autres, nous pensons que notre incapacité à se fixer ne peut être comprise, nous avons imaginé avec beaucoup de ferveur et de vanité être la seule maison inapte pour en retirer toute la gloire fusse t-elle née dans la souffrance.
C’est une gloire qui ne brille pas.
Pourtant il suffirait d’un feu de cheminée, de lampes allumées au bord des fenêtres closes, pour se rendre compte de l’inconfortable réalité : seul n’existe pas. Seul n’est qu’une illusion dont on s’enveloppe allègrement lorsqu’on se fracasse contre murs et rochers, ces maisons finissent même par rejoindre le troupeau car la singularité qu’elles recherchent tant les amènent finalement à reproduire les mêmes comportements qu’elles dénoncent hypocritement.

Au bord des fenêtres j’essaie de faire pousser des fleurs, elles sont à la fois appâts et leurres, beautés étranges et vénéneuses que je choisis avec grand soin. Elles me rappellent d’être attentive à l’éphémère et que grandir prend du temps, beaucoup de temps, pour donner naissance à un joyaux. Elles me rappellent que le temps vendu par les cyclopes ne correspond pas à ce que l’âme demande, à ce que la nature produit, c’est un temps dangereux qui nous précipite vers la ruine, la décrépitude, et de ce temps-là je n’en veux pas. A la place j’ai choisi, non sans peine, une lenteur des choses qui poussent, organique, vitale, secrète.
Dans mon grenier je stocke toutes mes richesses, il est plein à craquer. J’ai oublié avec le temps que ce sont les fondations qui doivent avant tout être très solides pour pouvoir se déplacer confortablement, pour que la maison puisse fièrement dire “je suis cette maison”. Je crois qu’à ce jour elles sont vides, il y a des fuites partout que je n’arrive pas à colmater malgré tout mon travail, de l’air et de l’eau s’en échappent, parfois j’ai l’impression que tout ce qui se trouve là-haut va dégringoler et se perdre à jamais dans le vide. Parfois, j’ai juste envie de finir l’ouvrage du néant et de m’y précipiter.
Mais quel exemple donnerais-je ? A la toute petite maisonnette qui m’est rattachée, et aux autres maisons qui cherchent dans le noir.

Quelque part près d’un étang, à côté des rivières et des montagnes, j’ai une maison.
Parfois elle est petite, quand le jour s’étend autour de moi et que la lumière est trop forte, parfois elle est grande, lorsque la nuit m’enveloppe et qu’en dedans tout est calme pour quelques heures.
Vous avez la vôtre, brillante dans sa différence, dans sa générosité. Mais je ne vous vois pas, où êtes-vous ? Pouvez-vous, voulez-vous, me rejoindre, s’apprendre à consolider nos fondations, à faire pousser la lenteur, à remplir les greniers de l’essentiel ?

Nous irons croître, fleurir.
Nous prendrons notre temps.
Nous luirons dans la nuit.